Moi maladroite? C'est pas vrai >< { Joey }

Joey se releva sans s'aider de la main de cette fille. Pas qu'elle eut envie de la snober, juste que ça lui faisait bizarre d'être... chaleureuse? Avec des anglais. Enfin, disons n'importe quel autre anglais.
Elle adressa un mince sourire à la fille en relevant les yeux vers elle. Elle la reconnut alors. Elles étaient en cours de Littérature et d'anglais ensemble.

- Oui, ça va.

Elle planta ses deux poings au plus profond de ses poches, pour que son interlocutrice ne veuille pas la serrer, alors qu'elle engageait la conversation. Il serait êut-être bon de se faire quelques amis. Même si elle rechignait à simplement serrer des mains, elle aurait bien voulu avoir des connaissances, sachant bien que sa meilleure amie ne débarquerait pas de si tôt sur la côte anglaise telle une sauveuse.

- Ahem... Joey Stiffler. On est en Anglais et en Littérature ensemble...

Elle pinça les lèvres dans ce qui devait ressembler à un sourire. Cette fille n'avait pas l'air méchante, elles pourraient bien s'entendre et peut-être qu'elle aiderait un peu Joey à se défaire de ses réticences vis à vis de la terre britannique... peut-être même qu'elle était ici depuis longtemps et qu'elle connaissait le garçon des inscriptions... peut-être qu'ils étaient amis et qu'elle pourrait le lui présenter... La simple idée de le revoir provoqua une soudaine accélération du rythme cardiaque de Joey. Elle avait encore rêvé de lui quelques secondes plus tôt alors qu'elles s'étaient endormie, allongée dans l'herbe du parc... Ces instants où elle s'évadaient rendaient la distance et l'éloignement plus supportable. Penser à lui c'était ne plus penser que sa famille et ses amis étaient de l'autre côté de l'océan et qu'elle ne les verrait plus avant un bon bout de temps... Penser à lui c'était rêver plus loin et plus fort que les simples rêves d'une gamine éloignée de son pays. C'était rêver d'amour, d'un grand et bel amour puissant destructeur et indestructible... An epic love...

- J'ai été obligée de prendre Anglais. Ils disent que tous les étrangers qui arrivent tout juste à Bristol doivent prendre ça en première matière au lycée. C'est pourri, je pense parler aussi bien anglais que les anglais!

Elle eut un petit rire, c'était une blague un peu limite et elle apréhendait la réaction d'Alexis. Avec ce genre de plaisanteries, ça passe ou ça casse et la demoiselle semblait avoir été irritée du comportement de Joey, qui l'autrait presque fait passer pour une associale. Pourtant ce n'était pas le cas, Joey était généralement très chaleureuse avec les gens qu'elle rencontrait et se faisait facilement des amis, mais elle était juste un peu bouleversée ces derniers temps. Elle n'avait pas eu la moindre envie de venir en Angleterre. Comme tout américaine qui se respecte, Joey portait dans son coeur un profond patriotisme et une certaine méfiance de l'oppresseur britannique qui avait d'abord chassé les Pilgrimms puis tenté de coloniser le merveilleux pays qu'étaient à présent devenus les Etats-Unis d'Amérique. Elle sourit avec fierté alors que l'hymne national raisonnait entre ses deux oreilles.

"O! say can you see by the dawn's early light
What so proudly we hailed at the twilight's last gleaming?
Whose broad stripes and bright stars through the perilous fight,
O'er the ramparts we watched were so gallantly streaming?
And the rockets' red glare, the bombs bursting in air,
Gave proof through the night that our flag was still there.
O! say does that star-spangled banner yet wave
O'er the land of the free and the home of the brave?"

Le départ de Joey pour l'Angleterre avait sublimé sa fierté nationale et son patriotisme et lorsque ses pieds foulaient le sol anglais, elle se sentait plus encore New Yorkaise que jamais!

- New York, moi aussi. Sourit Joey, récupérant petit à petit sa confiance, face à l'une de ses compatriotes. L'Upper East Side, plus précisément. Tu comprends un peu comme ça m'a fait bizarre d'arriver ici... Le métro est jamais bondé, on voit passer un Taxi une à deux fois par jour...

Pour Joey, Bristol était pire que le Tennesse! La virginie! Le désert du Nevada, Vegas en moins! L'idée de tomber par hasard sur, non seulement une américaine, mais en plus une New Yorkaise (sans doute pas issue du même cartier, certes, mais New Yorkaise quand même) la réconfortait beaucoup.

- T'es de où plus particulièrement à New York City? Enfin, je veux que t'aies l'impression que je te flique, mais... Tu comprends... Je vis pas super le déplacement forcé.

Elles descendirent du métro à l'arrêt le plus proche du lycée et remontèrent ensemble à la surface. Il leur restait encore pas mal de temps avant d'arriver au bâtiment et elles pourraient encore discuter un peu.

Joey réfléchit une seconde à la question d'Alexis. Pouvait-elle dire qu'elle connaissait vraiment quelqu'un à Bristol? Pas tout à fait. Mais après des nuits entières en sa compagnie, elle pouvait au moins avoir le courage de le mentionner...

- J'ai croisé un garçon le jour des inscriptions. Je... Je ne lui ai pas vraiment parlé, rougit-elle. Mais je me souviens très bien de lui, et je pense qu'il est en seconde dans le même lycée. Je ne l'ai pas encore recroisé, mais ce n'est que le premier jour, j'ai encore tout mon temps.

Elle sourit. L'image de son visage, le regard perdu dans le vide, lui revenait comme un flash et avec un grand plaisir elle se remémora chacun de ses traits. L'harmonie parfaite de sa plastique particulière. Chaque fois qu'elle pensait à lui, la chanson "Romeo & Juliet" du groupe Dire Straits lui revenait en tête comme si elle était indéniablement liée à lui. Joey était de ces jeunes filles qui font de leur vie un film à chaque instant. Elle était l'héroïne et ce garçon, peu importait qui il fut, était son roméo, le héros destiné à faire de son film une aventure inoubliable. Comme Bonnie & Clyde, ils entreraient dans la légende. Leur prénoms, à jamais liés l'un à l'autre, seraient murmurés par des générations d'amoureuses transies et passionnée qui espéreraient vivre une histoire similaire à la leur. Ils seraient comme Satine et Christian de Moulin Rouge, il la délivrerait de la prison, que formait Round View Sixth Form College, où sa mère l'avait envoyée de force et ils vivraient d'amour et d'eau fraiche, heureux pour toujours.

- Il est plutôt grand, brun, frisé aux yeux foncés.

Alexis. Je connais deux personnes qui ressemblent à ta description.. L'un est mon meilleur ami, l'autre c'est.. Personne à vrai dire.

Joey sourit, rêveuse. L'image de ce garçon lui revenait dans ses moindres détails. Son regard, sa peau, ses lèvres, ce soupir et son halène, son souffle qui caressait la joue de la jeune fille... Et ses rêves. Tous ces rêves dans lesquelles ils s'aiment de toutes leurs forces minables d'enfants. Ces rêves dans lesquels il la serrait dans ses bras pour la ramener à New York et la sauver de cet affreux pays dans lequel elle était contrainte de résider pour les trois années à venir. Ces rêves où ils vivaient heureux pour toujours au rythme des chansons de David Bowie.

- Personne... C'est à peu près ça, oui.

Ce n'était personne, et le monde entier à la fois. Il n'avait pas d'identité, pas de nom pour elle encore, mais il était tout à ses yeux. Chaque seconde, chaque pas, chaque geste. Sans le savoir il l'acompagnait à chaque instant. Dans ses souvenirs et dans ses espoirs. Pourtant, ils ne se connaissaient pas, ils n'étaient personne l'un pour l'autre.

Peut-être était-ce simplement elle, qui n'était personne.